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1917 : le magistral faux plan-séquence de Sam Mendes

Il y a des films qui marquent, qui s'empreignent en notre esprit pour des années, grâce à leur ambiance, leur décor, leurs personnages, leur direction, leur musique, leur histoire. 1917, de Sam Mendes, est l'un d'eux. Pourquoi est-il magistral ?

CINÉMA

5/15/20246 min read

Alfred et Sam Mendes, une histoire de famille

Amercain beauty (1999), Jarhead (2005), ainsi que les deux James Bond (Skyfall et Spectre), respectivement sortis en 2012 et 2015 sont ses films les plus connus. Après Jarhead, un film où les soldats sont livrés à eux-mêmes, au beau milieu du désert et du pétrole, 1917 permet à Sam Mendes de renouer avec un genre qu'il connait bien, et, en l'occurrence, plus que bien. Alfred Mendes, son grand-père, est l'inspirateur du futur joyau de son petit-fils. Ecrivain ayant servi pendant 14-18, c'est chez lui que Sam fouille dans ses papiers, dans ses écrits, dans ses livres pour s'y documenter, s'informer, s'inspirer et palper les véritables émotions vécues et ressenties sur le champ de bataille ; là qu'il se familiarise avec la désolation de l'horizon, du paysage, des villages, des villes, de toute forme de vie ; là qu'il s'habitue à la solitude de ces deux soldats, seuls avec leurs armes pour le défendre, leurs uniformes pour les camoufler, leurs bottes pour marcher ; là, au contact de ces deux messagers qu'il comprend que leur seule lumière est celle du soleil, qui brille, là-bas, en des contrées certainement plus joyeuses, loin de la fumée, de la cendre, des cadavres et de l'effroi de la Première guerre mondiale.

Deux caporaux : William Schofield et Tom Blake

Un champ. De la paisibilité. Un ciel tranquille. La caméra recule et dévoile nos deux personnages principaux, William Schofield et Tom Blake qui sommeillent à même le sol, contre le tronc d'un arbre, avec leur barda déjà sur le dos. Un homme les réveille à coup de pied, et les somme de rejoindre le commandement. C'est là que 1917, se révèle. Dès les premières images, dès le premier plan, il nous captive on ne sait comment, mais nous captive, faisant en sorte, d'emblée, que l'on ne ferme plus ses yeux autrement que pour les cligner.

William Schofield et Tom Blake marchent à travers le campement, dépassent leurs camarades qui, pour les uns, estompent leur fatigue ou méditent, et, pour les autres, jouent aux cartes ou mangent des boites. Tout à coup la verdoyance cède à la fadeur d'une terre beige et sablonneuse, du bois détrempé par la pluie et le sang, de la misère et du désespoir marqué sur les visages de chaque soldat dans la tranchée. William et Tom, sous couvert de rappeler quelques fondamentaux, se présentent à nous, comme si nous étions un nouvel équipier qui, à leurs ordres, recevaient deux ou trois éléments essentiels pour mieux s'adapter.

C'est en face du Général Erinmore (Colin Firth), que les deux soldats reçoivent leur mission : transmettre au plus vite un message au bataillon allié qui, dans son assaut prochain, se dirige droit dans la gueule du loup. Pour éviter un massacre que les deux sont dépêchés, et que les deux vont devoir se surpasser pour sauver la vie à des milliers de soldats qui, comme eux, aspirent à retrouver une vie paisible, leur père, leur mère, leur sœur, leur fiancée, leur frère... C'est pour Tom que cela deviendra une question de vie ou de mort : son frère fait partie d'un régiment directement concerné par l'ordre d'annulation. Donc soit il se grouille, brave les dangers et sauve, égoistement, la vie de son frère - et par là, la vie de son unité -, soit ces derniers vont droit à la boucherie.

L'émerveillement du faux plan-séquence

Mais pourquoi donc ce faux plan-séquence est si époustouflant ? D'abord, pourquoi est-il faux ? Eh bien, dans le feu de l'action, on ne s'en rend pas compte tant le montage est fignolé sur mesure, mais il y a bien dans le film des micro coupures qui entrecoupent ce que nous, spectateurs, croyons continuité. La seule coupure de vraiment visible est naturellement incrustée dans le récit, c'est-à-dire au moment où Schofield s'évanouit. Dans quelles circonstances, pourquoi, comment, ça, nous vous laissons le privilège de le découvrir. En revanche cet évanouissement nous donne la sensation de nous évanouir et de nous réveiller en même temps que Schofield, ce qui ne renforce que le sentiment d'appartenance, l'immersion, l'engagement.

Ensuite, si ce faux plan-séquence est époustouflant, c'est parce qu'il nous plonge continuellement au cœur des tranchées, au centre du champ de bataille, au milieu de la désolation du no man's land, dans l'obscurité des bunkers, dans l'angoisse, l'incertitude, le stress de l'inconnu, du danger potentiel, constamment présent, même quand tout est en apparence parfaitement tranquille, car la guerre, Schofield et Blake le conscientisent, c'est avant tout une perpétuelle errance, une souffrance sourde, une solitude infinie. Les soldats ont beau parlé entre eux pour combler le silence, pour évacuer leur tension et se rappeler qu'ils ne sont, physiquement du moins, pas seuls au monde, il y a, au fond d'eux, toujours cette distance qui les sépare, toujours ce malaise face aux cadavres, aux trahisons, à la paranoïa qui les poussent à tout vérifier plusieurs fois afin de se reposer non pas des heures et des heures, en mangeant correctement, mais seulement quelques minutes, de rares minutes qui, pour eux, valent bien des matinées ou des soirées.

Le spectateur est donc là, présent dans l'escouade malgré lui. Il retient sa respiration quand les circonstances l'obligent à se faire petit ; il chuchote à cette jeune mère coincée dans un sous-sol en plein territoire ennemi, et boit, et se repose, et soupire, et discute un peu avec un être humain non-hostile. C'est toute la prouesse de Sam Mendes que de nous immerger dans le conflit, les duels, les blessures, le saignement et la camaraderie ; c'est toute sa prouesse de réalisateur que d'avoir décidé de filmer, faussement, ses personnages en continu, sans interruption, faisant en sorte de créer une affinité entre eux et le spectateur - une affinité sinon sincère, du moins presque obligatoire tant la proximité favorise les liens.

Comment, tout comme Schofield, ne pas éprouver le désarroi quand tout semble contre lui ; quand, après tant d'efforts et de pertes, il semble ne pas trouver les bons lieutenants à qui s'adresser ; quand, après avoir fait le plus dur, il semble que tout soit vain, qu'il ait fourni tant d'énergie pour rien, et qu'il arrive peut-être trop tard ? Comment, dès lors, ne pas songer à cette scène déjà mythique : celle où, pour gagner du temps et réaliser sa mission, il décide de quitter les tranchées où sont parqués tous les soldats peu avant l'assaut décisif, et qu'il décide, comme ça, dans une idée suicidaire, d'y sortir et de courir tout son long pendant que les sifflets ordonnent l'offensive, que les explosions tonnent, que les soldats tombent sous les rafales allemandes ? Comment ne pas avoir les frissons quand ce bijou cinématographique est sublimé par une bande son originale tout aussi merveilleuse que celle de Thomas Newman ?

1917, la guerre au premier plan

1917 n'est pas le genre de film de guerre à exhiber la barbarie de la guerre, et bien qu'il y ait des scènes de combat, ce n'est pas chez lui que les jambes s'arrachent, que les têtes explosent, que les troncs se décrochent. Amateurs de gore, vous serez déçus. En revanche, le parti pris de Sam Mendes - et qui, avant d'être louable et rafraichissant, est tout aussi effrayant que le sanguinaire -, est de filmer la solitude du soldat, son errance à travers les tirs et les bombardements, à travers les cendres et les décombres. C'est un angle grâce auquel Schofield et Blake témoignent de la fin des fusillades, et grâce auquel, hélas, ils contemplent les dégâts de la mitraille, des grenades, des canons et des chenilles ; grâce auquel ils conscientisent que la terre, cette terre si riche, si verte, si fleurie, cette terre irriguée d'une eau écarlate, n'est plus qu'une terre infertile, désertique, noire, sombre, arrosée par une eau pourpre. C'est aussi ça, le drame de 14-18 : des hommes face au néant absolu. Des hommes qui survivent Sous le soleil de Satan selon Bernanos, et qui, selon son compatriote Céline, participent à la plus grande chasse à cour de l'histoire.

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