Dostoïevski selon Henri Troyat
On a écrit et réécrit sur Dostoïevski, mais la biographie d'Henri Troyat se démarque-t-elle ? Bien plus : peut-elle se comparer à la référence qu'est celle de Joseph Frank ?
LITTÉRATURE
9/13/20244 min read
Dostoïevski et la Russie
On le sait, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski était un nationaliste convaincu : pour lui, sa mère patrie, la Sainte Russie, avait pour mission de sauver l'Europe du fléau des Lumières. Pour lui, Moscou était la troisème Rome, celle qui se devait de sauvegarder l'identité européenne, donc christique, de la noirceur de l'industrialisation, de l'athéisme, et donc, puisque pour lui c'était une évidence, du nihilisme. Depuis son enfance, et notamment à l'adolescence, il a toujours ressenti un décalage entre lui et ses pairs, et lors de ses jeunes années d'adulte, toute son énergie s'orientera sur l'analyse de ce décalage : pourquoi lui et pas les autres ? pourquoi était-il seul et eux tous, comme il l'écrira dans Les Carnets du sous-sol ? pourquoi ne se complaisait-il pas dans le matérialisme quand ses camarades jugeaient une existence remplie pour peu que leurs pantalons leur aillent, comme il écrira cette fois dans son deuxième roman, Le Double ? et pourquoi, en lui, en lui seul, s'est joué cette dualité entre le bien et le mal, entre lumière et ténèbres ? Pourquoi est-ce Dostoïevski, et pas Tolstoï, Tourgueniev, Gogol ni même Pouchkine qui a été considéré comme le prophète de son pays ? comme, selon les dires de Vladimir Soloviev à son enterrement, le père spirituel de la Russie ? Tant de questions parmi tant d'autres auxquelles on exige des réponses. Henri Troyat y répond-il ?
Dostoïevski selon Henri Troyat
Bref article car c'est une biographie, et que, à contrario des romans ou des traités philosophiques, il n'y a, en somme, rien à analyser artistiquement ou même philosophiquement sur une biographie ; en revanche, nous pouvons vous éclairer un peu sur le travail d'Henri Troyat. Si son honnêteté est louable, s'appuyant sur des correspondances entre Dostoïevski et ses proches, ainsi que sur des ouvrages le concernant, et notamment la biographie de sa femme Anna Grigorievna Dostoïevskaïa, il est dommageable qu'il ne se concentre que sur le romancier. En effet, même s'il évoque par-ci par-là la société russe du XIXe siècle, il ne le fait que sommairement, et à de trop rares occurrences, ce qui fait que le malaise existentiel de Dostoïevski des jeunes années, on ne le comprend pas très bien, car il n'est pas inséré dans la société pétersbourgeoise de l'époque : il ne nous décrit pas les enjeux politiques, les enjeux économiques, les enjeux monarchiques, rien du tout. Or, pour vraiment comprendre l'oeuvre de Dostoïevski, il faut comprendre son parcours personnel qui est indéniablement liée à son œuvre - ou plutôt l'inverse. Alors oui on perçoit sa grande métamorphose lorsqu'il sort du bagne grâce, justement, à des extraits de quelques-unes de ses correspondances, mais, en dehors de la Sibérie, Henri Troyat ne nous informe pas des problématiques Russe des années 1850. Ce qui est vraiment dommage quand on sait que Dostoïevski était on ne peut plus tiraillé par les maux russes, selon lui générés par les maux occidentaux.
Aussi, un point qui nous a un bout d'un moment exaspéré, c'est la plume d'Henri Troyat, absolument indigeste par moment. Une phrase, une idée. Aucune souplesse, aucun élan de la pensée, à tel point que lorsque trois virgules s'enchainaient, on respirait tant, enfin, il y avait un peu de rythme. Car une phrase une idée, pourquoi pas, mais sur quelques passages, pour varier le rythme, jouer avec l'émotion, mais quand cela est la forme de toute une biographie, il va de soi que la lecture, surtout à haute voix, est robotique à souhait - ce qui est, vous l'avouerez, pas très jolie à entendre.
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Et Joseph Frank dans tout cela ?
Eh bien justement, rien à voir ! Si la biographie proposée par Henri Troyat est convaincante dans l'ensemble, fortement documentée, il n'y a absolument pas match avec le travail fourni par le biographe américain qui a, sans exagérer, écrit la référence absolue sur Dostoïevski, c'est-à-dire que là, oui, il y avait toute la société Russe de décrite, d'imprimée aux côtés de la vie du géant russe : de l'abolition du servage au populisme russe, des cercles littéraires au cercle Petrachevsky, aux relations entre Dostoïevski, Belinski, Nekrassov, Herzen, Tourgueniev et consort en passant par son adaptation au goulag sibérien, en passant inévitablement par la gestion de ses émotions, la fidélité à son frère ainé Mikhaïl, à son addiction à la roulette, le tout en analysant profondément ses romans, donnant même des clés de compréhension au sein même du contexte russe dans lequel vivait Dostoïevski, il n'y a, nous le répétons, absolument pas débat entre la biographie de Joseph Frank et celle d'Henri Troyat. Disons que si vous voulez d'abord vous familiariser avec l'univers dostoïevskien, alors celle du second est préférable ; sinon, si vous ne craignez pas de lire une briquasse de mille pages qui mélange littérature, philosophie et historicité, alors celle du premier est celle qu'il vous faut.