Le meilleur des mondes repensé en roman graphique par Fred Fordham
Le meilleur des mondes est le classique d'Aldous Huxley ! Futuriste, dystopique, visionnaire, d'une actualité brûlante, il est un incontournable de la science-fiction. Fred Fordham l'a adapté en roman graphique.
LITTÉRATURE
8/2/20245 min read


Le meilleur des mondes, classique de la littérature
L'un des piliers de la littérature mondiale en effet. Ecrit en 1926 à Six-fours-les-plages, dans le Var, Le meilleur des mondes a époustouflé par sa vision devineresse qui, à l'époque, était pour le coup très futuriste, mais qui, pour nous, en ce quart de XXIe siècle, est une précision d'orfèvre. L'œuvre originale n'est donc plus à présenter tant est elle connue de chaque lecteur, et tant les critiques ont tout dit à son propos. En revanche, que vous soyez lecteur débutant ou confirmé, et que vous souhaitez (re)découvrir ce classique, il peut être intéressant pour vous de vous plonger dans cette adaptation, en roman graphique, de Fred Fordham.
Le meilleur des mondes, de Fred Fordham
La première des choses qui saute aux yeux et qui, tout le roman, est d'une beauté sans nom, est la palette chromatique. Scintillante est l'adjectif qui lui sied le mieux. Fred Fordham, à l'image du roman d'Aldous Huxley a parfaitement su adapter le côté psychédélique du Meilleur des mondes afin de dépeindre du mieux possible cette société hédoniste, matérialiste, vénale, conformée selon la classe sociale, ne se mêlant qu'aux individus du même standing, ne se vautrant que dans le stupre et l'esclavagisme. Car c'est là, à contrario de 1984, que Le Meilleur des mondes est, quelque part, plus terrifiant encore : sous couvert de liberté absolue, d'une consommation jouissive, de festivité, de musique, de repas et de drogue synthétique tel que le soma, le monde d'Aldous Huxley cache, sous cette joyeuse apparence, la plus grande des dictatures, mais invisible, imprévisible surtout par ses citoyens, conditionnés dès leur conception scientifique (eux qui sortent de tube à essai) à ne vivre uniquement selon les désirs du monde extérieur, et endoctrinés dès leur enfance par l'hypnopédie à respecter l'ordre établi, à vénérer les classes supérieures et à rabaisser les classes inférieures, les citoyens, donc, aliénés dans cette prison aux barreaux invisibles, ne conscientisent rien, et consomment, et jouissent, et oublient.
Les couleurs, pétillantes et flashys, sont très représentatives de cette dystopie capitaliste, où l'argent régit tout, y compris, et peut-être surtout, les relations humaines. La première scène avec le scientifique dans la fermé à bébés pendant que les élèves, amenés à diriger à l'avenir, prennent des notes et posent des questions, est glaçante - glaçante car inhumaine, doublement glaçante car elle est d'actualité, et triplement glaçante car c'est là l'idéal de nos élites, de Davos et des plus grands financiers du globe. De même ce détail, mineur dans l'intrigue, mais révélateur tout de même : celui où deux petits enfants de cinq-six ans sortent d'un buisson car ils s'adonnaient à une initiation sexuelle. Là encore, comment ne pas mettre cela en relief avec l'éducation sexuelle de plus en plus précoce et de plus en plus gore enseignée à l'école ? comment ne pas raccorder cela avec l'accès illimité et ultra facile à la pornographie qui neutralise le cerveau des enfants et leur engramme l'idée que le sexe ressemble à ce qu'ils voient, que la performance, les dimensions immesurables et les déviances sont légitimes, bien plus normales que l'amour, la tendresse et l'attention ?
Et si ce début de roman, à l'écrit, est extrêmement visuel, il l'est d'autant plus évocateur en dessein. Les bulles s'enchainent, sont précises, et tout au long de la lecture nous avons eu la sensation d'assister à un film écrit, dessiné, imprimé. Fred Fordham n'hésite pas à jouer avec les tailles, avec la police d'écriture ni même avec une explosion graphique, où, tout à coup, un gros plan s'attarde sur les personnages, leurs réactions. Les coups de crayons sont magnifiques et il y a un sens de la photographie non négligeable, surtout dans la scène entre Bernard Marx et Lenina Crowne.
Mais le point qui, en cette relecture du Meilleur des mondes, nous a vraiment interpellés, c'est le fameux débat entre Mustapha Menier, Bernard Marx et le Sauvage. Pourquoi ? Car bien que passionnant, bien que passionnés à notre première lecture par cet échange, il s'avère qu'il prend une toute autre dimension philosophique une fois que l'on a lu un auteur Russe. Vous voyez de qui nous parlons ? Oui, une fois que l'on a lu Les frères Karamazov et notamment la gigantesque Légende du Grand Inquisiteur, il est impossible - impossible, par deux fois - de ne pas comprendre que Le meilleur des mondes est l'archétype du pain et des jeux, le summum concentrationnaire de la technoscience et du progressisme, toutes deux permises grâce à l'essor, sur le plan moral, de l'athéisme - car l'homme dénué de verticalité trouve dans le progrès son Salut -, et, sur le plan économique, de la bourgeoisie pendant la Révolution française. C'est une discussion hautement philosophique, qui traite des conditions éthiques et du contrôle de la société pour le bien même des citoyens qui, eux, dans leur insouciance, n'ont qu'à se contenter de jouir, de consommer et de travailler sans se soucier de rien, quitte à vivre comme des esclaves - ce qui est le totalitarisme parfait en somme : être emprisonné sans même le savoir, et, mieux encore, en beuglant aveuglément sa liberté.
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"Partant de la liberté illimitée, j'aboutis au despotisme illimité."
Puisque nous évoquions Fiodor Dostoïevski, voilà une citation tirée de son plus monstrueux chef-d'œuvre, Les Démons, et qui, à elle seule, synthétise l'idée même du Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley. Fred Fordham, quant à lui, a fait un travail merveilleux, fort respectueux de l'œuvre originale ; il s'est imprégné de son énergie, de son mode de pensée, de son sordide pour en faire une adaptation graphique remarquable, fortement cinématographique. Encore une fois, son Meilleur des mondes est parfait si vous souhaitez vous lancez dans la littérature sans trop de pression, ou si vous souhaitez redécouvrir ce classique du genre d'une manière différente. Nous en tout cas, il nous a donné envie de relire un autre monument dystopique, mais pour savoir de qui l'on parle, rendez-vous la semaine prochaine.