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Un jardin de sable : le jardin secret d'Earl Thompson

La littérature américaine, on le sait, s'est construite sur le néant. Sans aucun modèle auquel se rattacher, elle a laissé place, vu le vide auquel elle faisait face, à une littérature hantée et erratique. Un jardin de sable, d'Earl Thompson, est un roman qui ne déroge pas à la règle.

LITTÉRATURE

6/7/20247 min read

Earl Thompson
Earl Thompson

Un jardin de sable : l'écriture comme catharsis

Pour certains, l'écriture n'est qu'un passe-temps, sans aucune motivation particulière autre que le loisir personnel ; pour d'autres, il est un passe-temps rémunéré, c'est-à-dire qu'il garantit au dit auteur un confort financier pour que celui-ci écrive des histoires souvent, il faut l'admettre, peu intéressantes - car ce qui est fait gratuit, pue le gratuit, pour paraphraser Louis-Ferdinand Céline ; et d'autres encore, sans rien décider, sans rien piloter de leurs faits et gestes, n'ont trouvé refuge que dans l'écriture qui, au départ, avait peut-être vocation, comme la première catégorie, à n'écrire que pour eux, seulement pour eux, dans la seule motivation d'évacuer leurs crasses mais qui, au fur et à mesure de leurs efforts littéraires, se sont dit qu'ils devraient, pourquoi pas, soumettre leurs manuscrits à des éditeurs pour, pourquoi pas, épauler ceux qui ont traversé, traversent ou traverseront les mêmes épreuves qu'eux, les romanciers. Ainsi Earl Thompson s'inscrit dans la dernière catégorie. Pourquoi ? C'est qu'Un jardin de sable est maudit.

Un roman autobiographique teinté de noirceur

Il ne s'agit pas de vénérer le Mal, de sacrifier une chèvre à minuit sur on ne sait quel mont avec on ne sait quelles personnes infréquentables, ni même de faire l'apologie de la douleur, du masochisme ou de l'autodépréciation ; non, certainement pas, car ceux qui font un tel prosélytisme ne comprennent rien au message, et sont peut-être même fort dérangés, en besoin d'aide d'immédiat. Alors de quoi s'agit-il, concrètement ? Il s'agit de défendre les créateurs envasés dans des sables mouvants - si on nous permet ce trait d'humour. Il s'agit, en fait, de défendre et de louer l'abnégation des créateurs qui, souvent seuls, déboussolés, erratiques et souffrants, se débattent à travers l'obscurité, luttent contre des forces invisibles, désirant fermement s'en sortir ; il s'agit d'affirmer que ce sont des créateurs importantissimes pour le genre humain, car malgré la répugnance qu'ils provoquent chez leurs contemporains, malgré leur déviance et leur vision, il est vrai, peu commune, fortement éloignée de l'heureuseté et de l'épanouissement, ils sont primordiaux pour, dans leur situation, mettre des mots là où ça fait mal, vraiment mal, et de la sorte, par leur courageuse action, rassurer et réconforter ceux dans le besoin, ceux qui n'avaient ni le talent, ni la motivation, ni peut-être le temps ou simplement la force pour écrire et donc expier leurs maux. Il s'agit donc de défendre des créateurs qui font avancer les choses, qui, enfermés dans le tunnel, cherchent la lumière frénétiquement afin d'en sortir et d'alerter leurs semblables sur leur parcours, et leur avertissement. C'est donc la défense de créateurs en apparence noircis mais en profondeur lumineux que nous défendons, et que nous croyons défendables, car comme le dirait Chateaubriand dans La restauration et la monarchie élective, le monde ne saurait changer de face sans qu'il y ait douleur.

Une enfance marquée par le deuil et la solitude

C'est un roman autobiographique, donc les personnages sont ô combien authentiques. C'est d'ailleurs l'avantage de tout romancier que de s'inspirer du réel, et ce qui distingue, justement, les bons des mauvais, c'est que les bons transcendent les vivants pour les mouler définitivement sur le papier, les vivifier et retransmettre leurs personnalités de manière remarquable, de sorte qu'à chaque page le lecteur a l'impression de dialoguer avec des personnes de chair et de sang, quand les mauvais, eux, ne font rien de cela, et, pis encore, dénaturent certains personnages par malhonnêteté intellectuelle, comme ça, parce qu'ils ne les aiment pas, alors que tout l'intérêt eût été de savoir pourquoi agissent-ils de la sorte, et pourquoi sont-ils désagréables, et pourquoi sont-ils mesquins, quels sont les événements qui les ont marqués, etc. Un processus enrichissant pour le créateur, car à travers ce raisonnement, il en vient aussi à se remettre en question, à s'introspecter, se demandant : "et si, finalement, ce n'est pas moi le problème ? et si, finalement, c'est moi qui ait mal agi ? et si, finalement, ce n'est pas les autres qui ont raison ?" Tout un tas de questionnement qui demande autant de la sincérité et de la bienveillance qu'une franche volonté d'amélioration, de renaissance personnelle. C'est là, en partie, ce qui différencie les bons des mauvais romanciers. Les bons avoueront leurs torts ; les mauvais, emplis de ressentiment, d'abord contre eux-mêmes, ensuite contre les autres, rejetteront leurs fautes sur autrui, et haïssent encore et encore.

Ainsi est la démarche d'Earl Thompson qui, dans Un jardin de sable, narre sa trajectoire, de l'enfance à l'adolescence. L'écriture est soignée, rythmée, n'hésitant pas, lorsque nécessaire, à devenir nerveuse et angoissée. Le jeune Earl raconte ses histoires familiales, et notamment sa relation privilégiée avec ses grands-parents, dont le grand-père, Mac, est tourmenté par la perte de sa propriété à cause de décisions gouvernementales qui ne manquent pas, à chaque fois qu'il les évoque, de l'irriter : "Un homme, ça veut travailler. Qu'est-ce qu'y peut faire d'autre de son temps ? Oh, évidemment, il aura pas envie de s'crever la paillasse pour recevoir moins que c'qui faut pour survivre. [...] Le problème, ça a toujours été que les gens sont pieds et poings liés par le désir d'autres gens qui veulent gagner plus qu'eux, au lieu que tout le monde s'entende pour résoudre un problème bien précis qu'il faut résoudre pour le bien de tous."

Et loin de lui, comme lui rétorque l'un des chômeurs, de "parler comme un de ces putains de communistes", car sitôt Mac le dégomme, l'envoyant au tapis, l'invitant à se relever pour voir. "Faut lire un peu les journaux, p'tit gars. Faut t'mettre un peu au parfum de c'qui passe dans le monde. Faut utiliser ta cervelle. Espèce de trouduc de sac à merde, t'as la vue si courte que tu vois même pas suffisamment clair pour boutonner ta braguette." En rien communiste est-il, Mac, seulement il veut plus d'équité, de justice, plus d'humanité. Il fait en effet partie de ces gens qui s'appauvrissent sans aucune autre raison que les changements politiques (ici de Roosevelt), et qui, pour survivre un tantinet, lui résilient, lui aimant, lui familial, se réfugie dans l'espérance, cette dernière ressource des gens du bas. Il aime sa femme, avec qui ce n'est pas toujours facile, oh non, mais avec qui, au moins, la vie est plus appréciable ; et, bien sûr, il y a Earl, envers qui il remplit une figure paternelle forte et inspirante.

Du reste, c'est un roman de près 700 pages, donc on ne peut évidemment pas plus développer. Sachez du moins que le jeune Earl est trimbalé de gauche à droite comme un vulgaire sachet, qu'il est un enfant moderne, c'est-à-dire un enfant issu d'une famille monoparentale dont le père est mort dans un accident de voiture (information dévoilée dès le début du roman), et dont les grands-parents, on l'a dit, s'appauvrissent, déménageant fréquemment. De ces déménagements, le petit Earl va d'école en école, de camarades en camarades, et, in fine, c'est seul, sans très peu de joie et d'assurance qu'il se développe, le tout dans une intimité maternelle absolument cauchemardesque, dont nous vous laissons la découverte. Et malgré tout cela, il parvient à se construire, à rester plus ou moins sain, avec une moralité, un code éthique, une direction future. En ce sens, on pourrait le rapprocher du roman L'adolescent, de Dostoïevski, qui a pour but de plonger dans le chaos d'une famille décomposée et recomposée, et dans laquelle un jeune adolescent, en l'occurrence Arkadi, aspire, dans sa mégalomanie, à devenir Rothschild, et qui, comme Earl Thompson, parvient à maintenir l'équilibre entre sanité mentale et sanité émotionnelle.

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Un jardin de sable, le bac à sable d'Earl Thompson

Si vous aimez la littérature américaine, vous ne serez aucunement dépaysés, car Un jardin de sable pue l'Amérique, pue la chaleur, le Kansas ; si vous aimez les romans brutaux, authentiques, dérangeants en un sens, foncez, vous trouverez votre bonheur ; et si débutez dans la littérature américaine mais que vous êtes sensible aux thématiques évoquées, alors n'hésitez plus, c'est là le roman qu'il vous faut. C'est là votre porte d'entrée dans cette littérature américaine gigantesque. Sur ce, voici ce qu'en dit l'éditeur, Monsieur Toussaint Louverture, sur l'un des rabats de la couverture : "Un jardin de sable est une œuvre puissante et sombre, un classique peuplé d'êtres acariâtres, de gamins aux mentons croûtés, de truands, de putes et de brutes - les ongles y sont sales, la peau, couverte de bleus, et les draps, comme les âmes, sont souillés au-delà de toute rédemption."

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