Une vie, Guy de Maupassant
Une vie est le premier des six romans de Guy de Maupassant, et, par l'occasion, notre premier de l'auteur français. Avons-nous apprécié ? regrettons-nous cette découverte ? Verdict !
LITTÉRATURE
7/12/20245 min read


Une vie, le tout premier roman de Guy de Maupassant
Guy de Maupassant est connu de tous, l'un de nos plus illustres littérateurs. Chacun détient, avec lui, sa petite expérience, entretenant des rapports amicaux ou assez traumatisants en raison des souvenirs scolaires. Pour autant, c'est l'un des auteurs classiques les plus lus de notre littérature, et, comme ce devrait être le cas avec toute sorte de créateur, il convient de commencer sa bibliographie par son premier roman afin de vraiment visualiser son évolution au fil du temps. Une vie est donc paru en 1883, et, selon Tolstoï, c'est "un roman admirable", qui, non seulement d'être admirable, l'est car "c'est le meilleur roman de Maupassant", et peut-être même "le meilleur roman français après Les Misérables de Hugo." Rien que cela !
Un roman sur la vie de Jeanne
Un roman qui suit la trajectoire de Jeanne à sa sortie du couvent jusqu'à son début de vieillesse. Maupassant prend le temps de tout développer dès le début, d'instaurer un climat paisible, adolescent qui, à l'image de Jeanne, est enchanteur, printanier, idyllique et dont les rêves de l'héroïne semblent s'amplifier à mesure qu'elle voit du paysage, à mesure que la route qui la reconduit chez elle, dans sa calèche, lui promet une douce existence. C'est là, précisément, que tient tout le personnage de Jeanne : la rêverie, la naïveté, l'innocence. C'est une rêveuse, une adolescente qui a constamment vécue cloitrée, protégée par son père afin de la garder pure, et de la réserver à un mariage pour qu'elle vive sa vie de femme, d'épouse, de mère. Problème, et c'est là toute l'intrigue d'Une vie, elle subit son innocence, car n'ayant jamais parcouru le monde, n'ayant jamais vraiment développé de relations humaines, n'ayant jamais vraiment appris à reconnaitre ses sentiments, à faire la distinction entre l'affection et l'amour, entre l'amitié et l'empathie, entre la colère et la haine, elle tombe sous le charme de Julien, son premier courtisan, et acceptant ses avances, acceptant de porter son nom, de vivre main dans la main avec lui, elle s'aperçoit, au fil des années, que son choix s'est porté à la va-vite. Pourquoi à la va-vite ? Car bien que Julien, son époux, la cajole, l'aime (et encore), la respecte, il n'hésite pas une seconde à s'imposer dans le couple, privatisant d'abord la bourse de deux milles francs donnée par la baronne, la mère de Jeanne, pour qu'elle profite de son voyage de noce en Corse ; trompant sa femme ensuite avec une servante dont il se contrefout d'ailleurs, et dont il est responsable de la naissance d'un bâtard. Le père de Jeanne, bien qu'offusqué, n'intercède pas finalement. Pourquoi ? Pour raison financière. Oui, nous en sommes là. Pour une histoire d'argent, de réputation, de relation, un père est prêt à oublier le respect et la fidélité que doit normalement porter un époux à son épouse ; et pour ces mêmes raisons, un père est prêt à trahir sa fille, à la blesser, à la déconsidérer, à vivre avec cette trahison, ce manque de protection sur la conscience.
Jeanne, bien que niaise, bien que naïve, très naïve, en vient à toucher le lecteur autant grâce à la plume de Maupassant - loin d'être sensationnelle, mais efficace cependant -, qu'aux événements qu'elle subit. Car Jeanne, comme elle le déclare à sa domestique et amie Rosalie : "C'est moi qui n'ai pas eu de chance dans ma vie.". Chose à quoi cette dernière s'offusque, relativisant : "Qu'est-ce que vous diriez donc s'il vous fallait travailler pour avoir du pain, si vous étiez obligée de vous lever tous les jours à six heures du matin pour aller en journée ! Il y en a bien qui sont obligés de faire ça, pourtant, et, quand elles deviennent trop vieilles, elles meurent de misère." Et même si la relativisation de Rosalie est sage, lui rappelant sa fortune dans l'infortune, on ne peut pas totalement donner tort à Jeanne tant tout, dans sa vie, s'est joué de malchance et de malheurs à cause d'une mauvaise décision : son mariage. "Vous avez mal été mariée, v'là tout. On n'se marie comme ça aussi, sans seulement connaitre son prétendu." Toute la souffrance de Jeanne tient là, en cette constatation de Rosalie. Et si André Fermigier, dans sa préface, déclarait que Guy de Maupassant avait écrit, avec Une vie, un roman sur l'emprisonnement de la femme dans le ménage, nous y voyons, nous, plutôt un roman sur cette décision capitale dans la vie d'une femme - du moins à l'époque - qui, si mal décidée, pouvait déboucher, comme dans le cas de Jeanne, sur une destinée morne, monotone, sans amour véritable, sans attirance particulière - bien au contraire puisque Jeanne en vient même à être rebutée par son mari, lequel l'a fort mal initiée au plaisir de la chair - et qui, surtout, couplé au fait que la femme, en cette fin de XIXe siècle, avait effectivement peu de liberté en dehors de son mari, entièrement dépendante, ne pouvait qu'aboutir, ce mauvais choix, qu'à une mauvaise vie. Là est le drame de Jeanne. Là est la beauté de ce roman dans lequel Maupassant capture la floraison des illusions, capture le dessillement de Jeanne, et capture davantage la perte de ses illusions, à cause de laquelle sa vision se ternit, au point, petit à petit, de se noircir, faisant du désespoir un air local, quotidien, routinier.
Le partage est un acte simple mais puissant pour propager des idées et éduquer davantage de personnes. Si vous avez trouvé de la valeur dans cet article, pensez à le partager !
"L'habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même", Alber Camus dans La Peste
C'est de cela dont il s'agit dans Une vie, premier roman de Guy de Maupassant que nous vous conseillons si vous souhaitez découvrir l'auteur ou cette œuvre. Le style est efficace, fluide, le rythme est soutenu, sans digression, allant droit au but ; et les scènes, variées, vous feront voyager tantôt en Corse, tantôt dans la campagne normande, près d'Yport et de Fécamp. Idéal pour oublier, si vous en avez, des traumatismes scolaires et se réconcilier avec notre belle littérature classique.