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Blackwater : syndrome de la littérature contemporaine

A l'été 2022 est édité pour la première fois, en France, une saga intitulée Blackwater qui, de suite, noie le lectorat dans son tourbillon. Comment l'édition et la communication se sont mis au service d'une saga qui prend l'eau ?

LITTÉRATURE

7/19/20248 min read

Michael McDowell
Michael McDowell

Deux catégories de littérateurs

En littérature, il y a deux catégories : ceux imaginatifs, doués d'une certaine facilité à écrire et à agencer des idées en histoire pour, ensuite, être imprimés, publiés, plébiscités par le public, invités sur les plateaux, loués par tous, enjoints par tous à reprendre la plume le plus vite possible pour créer de nouvelles histoires et ainsi revivre cet exaltant parcours médiatique ; et ceux, qui, tout aussi imaginatifs - voire plus -, doués eux aussi d'une certaine facilité d'écriture, connaissent, en revanche, le parcours du combattant, encaissant une liste de refus, et de refus, et de refus pour peu qu'ils soient trop originaux - et donc incompréhensibles -, ou trop engagés - et donc dangereux pour l'ordre tant littéraire que politique. Aucun scoop d'annoncer cette distinction. Les premiers, aujourd'hui, pullulent, quand les seconds, quoiqu'existants, sont relégués dans le grenier par des éditeurs et des lecteurs qui se moquent bien de penser, car eux, ce qu'ils veulent, en lien avec l'époque, c'est jouir, profiter, consommer. Factuel. Nous aimerions beaucoup dire le contraire ou nous tromper. Oui, beaucoup nous aimerions, croyez-nous chers lecteurs, mais, hélas, tel est notre constat - et tel devrait être le constat de tous dès lors qu'on ôte ses œillères et que l'on juge honnêtement. Les premiers donc usent de la littérature comme un moyen ; les seconds, comme dirait le titan Russe Dostoïevski, prétendent "messieurs, qu'il faut respecter la littérature". Comprenez cette distinction, et alors vous comprendrez ce qui va suivre.

Michael McDowell, un auteur américain du XXe siècle

Avant Blackwater, personne ne connaissait Michael McDowell. En France, du moins. Et pour cause, Michael McDowell n'est pas ce genre de romancier à viser la postérité, à écrire pour exorciser ses démons et ainsi, noyé dans le néant, essayer de décortiquer ses propres ténèbres pour en déterrer une vérité, une quelconque vérité qui pourrait, le sauvant, servir aussi au monde ; Michael McDowell, et c'est très bien, est de ceux qui écrivent ce qui leur traverse l'esprit, et qui aiment, pour passer le temps, s'occuper, se distraire, composer des textes. Encore une fois, c'est très bien. Pas tous les littérateurs ne doivent avoir la même ambition, car serait là tendre vers un conformisme, vers une uniformisation de l'art et des idées, et ce serait déplorable pour la littérature, pour son rayonnement et sa diversité que de la restreindre à cette étroitesse. Nous pensons que la littérature ne doit reculer devant aucun tabou, aucun sujet, aucune exploration psychologique ; et nous pensons qu'elle doit offrir une tribune à tous, pour peu, en revanche, que l'on ait le droit, comme dans tous les autres domaines de la vie en société, de trier, objectivement, le bon du mauvais, et de dire : "Ca, bof ; ça, vraiment calamiteux ; ça, oui, intéressant, mais à améliorer ; ça néanmoins, sublime, extraordinaire." Or aujourd'hui, chers lecteurs, ce droit le plus strict, ce droit à la critique, à la critique objective, et parfois piquante, méchante pour produire un électrochoc ou se montrer à la hauteur de la petitesse que l'on nous publie, nous est refusé. Pourquoi, en sport par exemple, avons-nous le droit et même la logique de classer les clubs prestigieux, avançant que le Real Madrid est le plus grand club du monde et que l'En Avant Guingamp n'est vraiment pas au même niveau - ou encore que Cristiano Ronaldo est bien supérieur à Nolan Roux ? et, dans le même temps, pourquoi, en littérature, n'avons-nous pas le droit de distinguer un bon d'un excellent auteur ? un moyen d'un pitoyable auteur ? Voyez le problème ? Pour que la littérature avance, performe, il doit être crucial de légitimer et d'écouter des critiques littéraires qui, formant l'opinion par leurs exigences et leurs références, éduquent un lectorat qui, à terme, soyons utopistes, détiendra sa propre grille de critères, impitoyables face à des hérésies comme celle nous évoquerons plus bas.

Michael McDowell donc, n'avait pas la prétention de vouloir être le plus grand, et écrivait seulement par passion, pour lui et ses fans. Rédigeant des scripts pour la télévision, il cherchait, dans l'art littéraire, la pure distraction pour ses lecteurs. Distraction, tel est le mot clé. Distraction, divertissement, hédonisme, tel est le triptyque qui domine notre société, notre début de XXIe siècle. Les cerveaux, façonnés par lui, ne connaissent rien d'autre. Ainsi donc la possibilité de favoriser des avis, des critiques, des commentaires dithyrambiques sur la saga Blackwater qui, foncièrement, ne vaut rien - strictement rien.

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Edition et communication au service d'une saga qui prend l'eau

Là est le cœur du sujet. Puisque nous sommes dans une société de consommation selon Baudrillard ; de spectacle selon Debord ; médiatique selon Charbonneau ; il va de soi que l'individu, s'appropriant ses règles, ne jure que par elles. Et comme chacun sait, de nos jours, que l'image prédomine, que l'écrit, chaque année, perd du terrain, que les nouvelles générations lisent de moins en moins ou, en tout cas, des choses peu nourrissantes - ce qui ne les rend que plus serviles à la littérature de consommation -, il est évident que la lecture n'est plus un outil pour analyser le monde, mais bien un outil pour s'évader de ce même monde, et échapper à son horreur quotidienne, à sa violence, à ses mensonges, au stress du boulot, à la pression des collègues, des clients, etc. Ce qui laisse à désirer quand on sait que la lecture, selon les ouvrages, permet, justement, une certaine émancipation, offrant des réponses, des pistes de réflexions sur ces problématiques ; et donc si vous ne lisez plus ces dits ouvrages, et que vous ne lisez que de la littérature qui absorbe votre attention pour, terminée, retrouver ce que vous tentiez d'esquiver, il est alors évident que vous êtes là sur une sorte de tapis roulant, infini, absurde.

Mais si, en plus de cela, par un travail éditorial remarquable, une impression des plus sophistiquées, des dorures scintillantes, des objets-livres magnifiques, vous ajoutez, sur les réseaux, une communication titanesque qui finit par s'alimenter d'elle-même, sans forcer, grâce aux retours des lecteurs, et qu'une sorte de propagande culturelle, continuelle, défile sous vos yeux chaque jour, chaque soir l'espace de quelques secondes, l'espace de quelques chroniques de n'importe quels internautes, qu'est-ce qui en ressort ? L'achat. Le craquage. A terme, autant fasciné par l'édition qu'endoctriné par la communication, vous vous dites : "Bon, tout le monde, tout le monde est fou de Blackwater, alors pourquoi, moi aussi, je ne craquerais pas ? D'autant que les livres sont abordables, alors, dans le pire des cas, qu'est-ce que j'ai à perdre ? Rien." Ainsi vous craquez, et ainsi vous contribuez à cette spirale médiatique, 2.0 qui inonde Instagram, chaque story, chaque compte, chaque partage, chaque commentaire, chaque réel. Et ainsi, par votre découverte, maintenu en haleine par une publication-feuilleton, tous les deux ou trois semaines, vous vous fidélisez à cette saga de six tomes. Et ainsi, pour clore le tout, vous enrichissez une maison d'édition qui, bien que travailleuse, bien que s'écartant des sentiers battus en publiant des auteurs peu connus, et bien souvent méritants, interprète vos dépenses comme une appréciation, alors que vous, sans doute, pris dans l'engrenage, voulant tout de même connaitre la suite de l'histoire débutée, vous n'avez sorti votre carte bleue uniquement pour lire le point final de Blackwater.

On se rend compte qu'il y a plein de biais cognitifs dans cette histoire : entre l'édition attrayante, la communication ensorcelante et des ventes mirobolantes, tout contribue pour faire croire, à l'éditeur et au lecteur, qu'il participe à quelque chose de merveilleux, de jamais vue. Le premier, et c'est là bien normal, capitalise sur cette effet de mode à plus d'un million de lecteurs pour publier la suite des œuvres de Michael McDowell ; le second, aspiré par la tendance, n'ayant pas un regard objectif sur ce qu'il consomme - car ne consommant peut-être jamais de livres, ou alors des livres que certains appellent des "romans de gare" -, croit bon de générer davantage de propagande culturelle, et d'écrire des chroniques laudatives pour entrer dans le moule, pour imiter la masse qui l'a préalablement convaincu que Blackwater, décidément, était une saga titanesque alors que, dans le fond, c'est un naufrage considérable. Pourquoi ? Car il ne s'y passe rien. C'est continuellement les mêmes descriptions, la grand-mère, la fille, le père, la femme ; et pour donner l'illusion de mouvement, de péripétie, l'auteur saupoudre son récit de disparations, de noyades, de crues, de barrages. C'est pas intéressant. Il nous parle de la scierie familiale, des difficultés financières, des relations familiales mais toujours avec cette navrante superficialité. Le comble, c'est que la promesse de la saga, celle du monstre qui sort de l'inondation pour se marier avec Oscar, n'est même pas tenue. A la fin, on ne sait même pas ce qu'elle était réellement, ni même pourquoi elle était sous cette forme, ni même pourquoi elle semble hanter cette eau noire du Missouri. Bref, tant de bruit, tant d'éloges, tant de salive gaspillée pour si peu. Cela en dit long sur les effets de mode, sur l'emprise mentale qu'ont désormais les réseaux sociaux, et surtout, surtout, cela en dit long sur la conformité sociale qu'ont les lecteurs lorsqu'il s'agit de lire le livre dont tout le monde parle pour, à son tour, louer ce livre qui doit absolument être connu, lu, vendu.

Une eau calme en noir et blanc
Une eau calme en noir et blanc

Blackwater touche le fond

Oh ! commercialement, non, elle ne touche pas le fond, mais des sommets - des sommets vertigineux. Et cela aurait rendu fou de joie Michael McDowell qui, encore une fois, avait bien le droit de produire une telle saga si l'envie lui ordonnait Blackwater ; en revanche, ce qui est intolérable, c'est cette manipulation des réseaux, cette hypnose qui a obligé les lecteurs de la saga à la vendre comme un chef-d'œuvre absolu et, pis encore, à déconsidérer, dans leur pédanterie, toute dissidence dès lors qu'on osait douter des soi-disant vertus dudit chef-d'œuvre. Nous arrivons après la guerre, bien sûr, mais il nous fallait rappeler ce phénomène bien plus médiatique que littéraire.

Vous l'aurez compris, on ne vous recommande pas du tout, mais alors pas du tout, mais alors vraiment pas du tout Blackwater. Economisez vos deniers et investissez-les plutôt dans Un jardin de sable, d'Earl Thompson, chez le même éditeur, ou, de manière générale, dans les ouvrages de la collection "Les grands animaux." ; mais évitez, par pitié, cette saga qui, littérairement, est nullissime. Votre temps est précieux, ne le gâchez pas inutilement.

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