Dune, Première partie : l'héritier Paul Atréides
Premier film de la trilogie, Dune, de Denis Villeneuve, remplit-il ses promesses ? permet-il d'identifier les enjeux de l'histoire ? et, surtout, donne-t-il envie d'en voir plus ? Réponse.
CINÉMA
4/17/20247 min read


L'adaptation d'un mythe littéraire
Dune, avant tout, est un succès planétaire. Oui, l'univers créé par Franck Herbert a atteint la sommité, la consécration ultime pour toute œuvre littéraire : la renommée mondiale. Ecoulée à plus de 20 millions exemplaires à travers le monde, la saga de l'auteur américain n'est plus à présenter puisqu'elle est, à ce jour, la saga de science-fiction la plus vendue de tous les temps. Ecrite en vingt ans, de 1965 à 1985, le cycle de Dune comptabilise six romans. Depuis, on ne compte plus les steelbooks, les adaptations vidéoludiques et cinématographiques (coucou le Dune de David Lynch). Et non, on ne parlera pas ici des sous-cycles de Brian Herbet, le fils de Franck. Denis Villeneuve s'est donc attaqué à un monstre culturel, mais son film, que donne-t-il ?
Il est difficile d'évoquer le premier film d'une trilogie, car bien souvent il sert de socle aux deux suivants ; et, en ce qui concerne "Dune, Première partie", la règle se confirme. Denis Villeneuve plante le décor - un décor épuré, très futuriste, très sombre aussi, limite oppressant tant les costumes et l'architecture semblent ternes, dépourvus de toute beauté, de tout espoir -, mais Denis Villeneuve nous familiarise d'emblée avec les personnages, leurs ambitions, leurs contraintes, leurs mentors et les enjeux de chaque Maison (Atréides et Harkonnen notamment).
Dans les cinq premières minutes de la projection, on entre directement dans le vif du sujet avec cette rencontre diplomatique entre le duc Léto Atréides, père de Paul, et l'Empereur Padishah Shaddam IV, chef de la Maison Corrino, laquelle exerce un pouvoir sans limite dans toute la galaxie, et donc soumet à la féodalité les autres planètes. Cette rencontre nomme officiellement Léto chef d'Arrakis. Ce sont alors des scènes de dialogues autour du pouvoir, des responsabilités, de l'honneur et de la moralité qui se succèdent. Le père gère son royaume, et prédit déjà l'avenir pour son fils, Paul.
La mise en place


La famille Atréides : une dynastie
Dans cette mise en place, Denis Villeneuve explique bien, afin de ne laisser place à aucun doute, que le grand ennemi, le plus grand ennemi de la Maison Atréides, c'est la Harkonnen. Pour évaluer la menace, des scènes oscillent dans le camp adverse, et, le moins que l'on puisse dire, c'est que la menace, au-delà d'être présente bien sûr, n'est clairement pas ragoûtante. Pour le coup, on est très loin du méchant cliché, doué d'une apparence quasi divine, une apparence qui séduit, interpelle, charme avant de dévoiler son véritable visage, vicieux, manipulateur, sanguinaire ; là, on est clairement sur le cliché habituel, c'est-à-dire sur le méchant très méchant, et dont la seule vue permet de comprendre que oui, à celui-là, Vladimir Harkonnen, et cet autre, là, son neveu Glossu Rabban, on aimerait pas ni les inviter à diner, ni parlementer, ni jouer, ni même promener avec eux. Le premier est flasque, graisseux, chauve, âgé, en un mot disgracieux ; le second est brutale, peu fûté mais très affûté dans l'art de la guerre, du combat, du sang et des déchirures. A eux deux, oncle et neveu représentent bien le désespoir, le chaos et les forces maléfiques. Si bien que Denis Villeneuve s'est concentré à symboliser leur obscurité intérieure par une obscurité extérieure : leur antre est polychrome, noire et blanche, et leur soldatesque est tout aussi rebutante que les maitres.
Paul, lui, s'exerce au combat auprès de son mentor Gurney Halleck (interprété ici par Josh Brolin) ; il manie l'épée, frappe, pare, esquive, refrappe, tombe, se relève, tente des parades, retente des attaques, encaisse les coups, et, épuisé, battu, s'avoue vaincu. Gurney le relève alors, lui souffle quelques précieux conseils, et ne manque pas de lui rappeler qu'un jour viendra où ce sera lui ou l'autre, où ce sera la vie, autrement dit la survie, ou la mort, et qu'en ce jour il n'aura droit à aucune erreur, aucune faute d'inattention, rien du tout.
La vie de Paul est typique d'un héritier. Entre ses différents mentors et son train de vie luxueux, on sent en lui une certaine innocence, ou, du moins, une certaine naïveté encore. Sa personnalité reste à parfaire. Dame Jessica (Rebecca Ferguson), sa mère, lui rappelle fréquemment. Il est voué à reprendre, un jour, les rênes, alors il ne doit, pas du tout se laisser aller. Comment, d'ailleurs, ne pas penser à cette scène tendue où il s'entretient avec Gaius Helen Mohiam, la Révérende Mère, pour connaitre son avenir ?
Du reste, on le redit, c'est en premier film, donc les axes de développement, quoique présents, sont assez limités. Disons que c'est une mise en contexte. Paul navigue entre différentes attentes le concernant : son père Léto veut le préserver tout en le préparant au mieux à l'exercice du pouvoir ; sa mère Jessica l'accompagne et le surveille mentalement et émotionnellement tout en lui faisant comprendre qu'en lui se cache un potentiel immense ; et l'Ordre des Bene Gesserit lui déclare ouvertement qu'il est destiné à un parcours hors du commun. Alors Paul écoute, se débat avec ses incertitudes, questionne, angoisse, et visualise, par prémisses, ce qui l'attend au cours de son périple.
Paul Atréides, l'héritier
C'est donc dans ces oscillations habituelles pour développer les gentils comme les méchants, que l'on devine déjà l'importance, pour les Atréides, de ne pas flancher. Face à eux le chaos, on l'a dit ; face à eux les ténèbres, la déstabilisation, le Mal. C'est donc à eux, de génération en génération, d'affronter cette rivalité, et de la contenir autant que faire se peut. Léto s'y emploie par la diplomatie, la stratégie politique, jongle entre les impératifs de son peuple, de sa famille et les visions des Bene Gesserit. Et dans ce capharnaüm, un jeune homme, brun aux cheveux bouclés, aux traits du visage égaux à ceux d'un mannequin, au regard perçant, vif, attrayant, se prépare, s'entraine, s'endurcit pour, un jour, succéder à son père, gérer les affaires et perdurer l'héritage familiale.
















Le décor, les jeux de lumière, les costumes
Rares sont les productions à mettre autant de contribution dans les costumes, l'environnement et la luminosité. Ici, dans "Dune, Première partie", tout est pensé au millimètre près. Chaque scène possède une ambiance distincte ; chaque personnage possède sa tenue ; et chaque lieu semble renfermer une lumière particulière, comme pour permettre aux acteurs de mieux ressortir, un peu comme au théâtre où le projecteur poursuit chaque geste des comédiens. L'éclairage de cette première partie est donc reconnaissable par son ton obscur, désespéré encore une fois. Le film s'éclaire enfin lorsque Paul, aux côtés de Dame Jessica, chemine sur Arrakis, vers les Fremen, comme pour signifier qu'en suivant sa voie il se dirige implacablement vers la Lumière.
Les costumes, quant à eux, sont travaillés avec soin. Les costumiers les ont conceptualisés avec soin, et cela fait plaisir. Dans le rendu final, on ne peut que concéder qu'on assiste à une grosse production, et que les moyens sont mis à tous les niveaux, pas uniquement dans les salaires ou la promotion.
Alors que la Maison Atréides connait un remous sans précédent, Paul et sa mère arpente une Terre désertique, aride, sablonneuse, sur laquelle s'étend, à perte de vue, des dunes, des dunes et encore des dunes. L'eau est rarissime, le feuillage nul, et seuls quelques palmiers grandissent dans les villes, arrosés avec minutie. Paul doit lutter contre les aprioris portés sur son patronyme, sur le prestige de sa famille, et, plus précisément, sur ce bruit qui court : celui, dit-on, qu'il serait le Messie tant attendu. C'est dans ce contexte qu'il s'enfouit plus profondément dans le désert, qu'il découvre les masses rocailleuses d'Arrakis, et tombe nez à nez sur les Fremen. Face à leur froideur, face à leur réticence, face à leur incivilité, et face à leur provocation surtout, Paul doit s'imposer, et s'impose de la plus belles des manières. Avec eux que tout s'enclenche, que tout prend sens, que tout se met en place : il ne le sait pas encore, mais sa vie, désormais, est changée à jamais, sans retour en arrière possible. Les complaintes et les doutes, les pertes et les pleurs, l'errance et l'incompréhension devront maintenant s'apaiser si Paul veut grandir, et découvrir son chemin : celui deviné par les Fremen ; celui prédit par les Bene Gesserit ; celui voulu par son père ; celui espéré par le peuple d'Arrakis.
Paul Atréides, l'étranger
"Dune : Première partie" en quelques mots
Il est vrai que ce premier volet fait la part belle à la narration, à la découverte, à la présentation de l'univers Dune ; le rendu final est assez lent, assez peu rythmé, et même s'il y a de l'action vers la fin du film - heureusement -, on ne peut s'empêcher d'être assez mitigé une fois le générique lancé. Non pas que le résultat est mauvais ; non pas que la patte artistique est invisible ; non pas que la musique est mauvaise - une bande son dirigée par Hans Zimmer peut-elle être mauvaise de tout façon ? - ; mais bien car le rendu final est contemplatif et monotone, en lien total, sur ce point, avec les couleurs froides durant tout le film. De plus, pour une première initiation, cela peut être rude que de se confronter à l'inhospitalité de l'architecture, des décors, et la bizarreté des antagonistes. A la fin, la seule pensée qui domine est la suivante : pourvu que la deuxième partie carbure.