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L'associé du diable : la tentation selon Taylor Hackford

Loin des standards caricaturaux et gratuitement horrifiques, le film de Taylor Hackford présente un message, malgré son titre, profondément chrétien. Que cache L'associé du diable ?

CINÉMA

6/26/20246 min read

Al Pacino et Keanu Reeves sur l'affiche de L'associé du diable
Al Pacino et Keanu Reeves sur l'affiche de L'associé du diable

Kévin Lomax, jeune avocat ambitieux

Prenez un homme, n'importe lequel. Eduquez-le traditionnellement, avec un père, une mère, un doux foyer, des ainés, des cousins, des amis, des amoureuses, distrayez-le lorsqu'il le demande, et qu'il souhaite sortir au cinéma, acheter des tickets de football ou de basketball, puis, par la suite, l'âge venu, soutenez-le dans son cursus scolaire, et, si vous pouvez, financez-le, aidant de la meilleure des manières ce jeune pousse qui, la rage au ventre, soucieux de vos efforts, décuplera sa force pour fructifier votre investissement en même temps qu'il réalisera ses objectifs. Bien. Maintenant, durant sa vingtaine, faites en sorte qu'il sacrifie tout le bonheur qu'il croyait conciliable avec ses études : enlevez-lui le confort financier, la popularité, l'amicalité, la sentimentalité, et confrontez-le au poids de sa réussite, celle qui exige de lui des sacrifices considérables pour décrocher son métier de rêve. Pendant ses années d'entrainement, seul et travailleur, faites-le progresser tant dans l'art oratoire que dans la juridiction, puis, en parallèle, cultivez-le par la lecture, l'art, le cinéma. Bien. A la fin, qu'est-ce qu'il en ressort ? Au début de la trentaine, après une décennie de labeur et d'isolement, il en sort, logiquement, le plus brillant des avocats, d'un qui s'est forgé dans l'ombre de tous, à l'abri des regards, sans que personne ne soupçonnât son éclosion, ou, du moins, une éclosion si éclatante. Cet avocat - que tout le monde respecte pour l'obtention de son diplôme, mais que tout le monde respecte encore plus une fois qu'il achète son premier cabinet, défend ses premier clients, et, surtout, remporte ses premières affaires -, tendez-lui maintenant le bras, ouvrez-lui la main, et, à ses doigts, mêlez-y ceux d'une douce femme, une belle blonde aux cheveux frisés, au regard pétillant, merveilleux, ébouriffant, et dont le sourire est aussi scintillant qu'un diamant au soleil. Qu'obtenez-vous ? La réponse est simple : vous obtenez le couple de Kévin et Mary Ann Lomax.

John Milton, l'avocat mentor de Kévin Lomax

A cet avocat qui, il faut l'admettre, a tout d'enviable (beauté, charisme, talent, argent, femme), ajoutez-lui, pour couronner le tout, un mentor, celui qu'il lui manquait dans ses années de formation, mais qui, désormais, en lui proposant d'être son associé, lui soumet la possibilité de gravir l'étape supérieure, de devenir l'avocat de tout New-York. Que décidez-vous pour la suite de l'histoire ? D'accepter cette proposition, n'est-ce pas ? Cela rajouterait du piquant, de l'action, du mouvement au film, n'est-ce pas ? Vous avez raison. Mais cette acceptation, doit-elle se faire sans règle, sans limite, sans frein ? Car Kévin Lomax, rongé par l'ambition, rongé par la vanité d'être, de l'avis de tous, l'avocat de demain, et, de l'avis de John Milton, déjà l'avocat d'aujourd'hui - d'autant s'il continue sur cette lancée, lui encore invaincu -, accepte cette proposition sans contrepartie : il signe son contrat, gagne encore et encore des affaires jugées ingagnables, achète un appartement des plus côtés de la ville, et, le soir, dîne aux chandelles avec sa tendre Mary Ann, estomaquée par son ascension elle aussi. Ensemble, ils participent aux soirées mondaines, rencontrent des personnalités notables, des personnalités qu'ils ne pensaient jamais fréquenter, encore moins serrer la main, encore moins baiser les joues. Ils rient, festoient, trinquent, échangent des banalités, des anecdotes, garnissent leur carnet d'adresses, se promettent une fraternité sans faille, et, amoureux, jeunes, ambitieux, prévoient maintenant de sanctifier cette confortable situation, ce flambant amour par un enfantement. Qui donc peut les arrêter dans leur progression ? Qui peut interférer leur couple ? détruire leur réputation, saccager leur rêve new-yorkais ? Personne. Inarrêtables sont-ils.

D'autant que John Milton, l'avocat expérimenté qui dirige dorénavant le plus grand cabinet de la ville, lui fait un pressing au corps, ne le lâchant pas, jamais, non de non, car lui, ce qu'il veut, c'est le prendre sous son aile, lui transmettre les bons tuyaux, les bonnes techniques, et, à terme, le rendre aussi indépendant que possible, ne travaillant que le strict nécessaire, car son nom, réputé, dansant sur toutes les bouches, travaillera bientôt à sa place, si bien qu'il pourra, comme lui, créer son propre cabinet, et gérer ses propres équipes. Le courant, entre les deux, passe donc bien, et c'est là compréhensible : à la place de Kévin, tout le monde, si l'on est honnête, se laisserait griser par cette situation, considérant ce John Milton, inconnu il y a peu encore, comme une figure tutélaire, comme un modèle absolu, charmé autant par sa légitimité, que par son bagou, son charisme, son aide, ses promesses. Et comme l'extrait du bas nous le démontre, comment, là encore, ne pas l'admirer, et voir en lui un homme inébranlable, indomptable ?

L'ambition brûle les ailes de Kévin Lomax

Mais l'ambition a ses limites. Comme tout, elle s'épuise le moment venu, et alors son sucre, si appréciable, ses cadeaux, si nombreux, ses nouveautés, si envoûtantes, perdent de leur saveur, et Kévin Lomax, petit à petit, goûte au revers du bâton : le travail le surcharge, il passe ses journées au bureau, épluche dossier sur dossier, dicte la marche à suivre dans telle affaire, épingle l'angle de défense dans telle autre, le vice de procédure dans telle autre encore, et le soir, éreinté, voulant se relaxer un peu, juste un peu, il rejoint son mentor, John Milton dans son duplex, lequel est entouré de jolies créatures. Alors Kévin, tandis que sa belle l'attend patiemment dans leur demeure, dans leur cocon, portant en elle la vie, la lumière, lui se détend dans l'alcool, les rires, les blagues pendant que deux paires d'yeux le braquent, le séduisant, l'attirant vers elles, en un mot, le tentant.

C'est alors, et nous n'en dirons pas plus, que la paisibilité de Kévin se brouille. Au fur et à mesure, il se rend compte de sa naïveté, de sa vénalité, de sa négligence, de sa cupidité aussi, et alors, au fur et à mesure, ce sont toutes ses croyances qui sautent, et ses plus belles espérances qui vacillent. L'associé de John Milton est-il vraiment l'associé de John Milton ? Et John Milton est-il lui-même John Milton ?

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Et Kévin Lomax croqua la pomme

Comme un symbole en effet, car le film, malgré ce que l'on pourrait croire, possède un message religieux, une morale imprégnée par la doctrine chrétienne, et qui tient en un constat : le Diable est le prince de la Terre. Ici-bas il détient tout, organise tout, finance tout, dirige tout, faisant de nous ses sujets, voire, et c'est le cas de Kévin Lomax, ses jouets. Il nous tente, nous donne sur un plateau ce que l'on espère le plus, décuple son annonce, appuie sur nos vices, nous promet de plus grandes richesses encore pour peu que l'on suive ses projets, que l'on ne pense à rien d'autre, que l'on oublie notre conscience, notre morale, et pour peu qu'on l'écoute, lui, seulement lui, le maitre de ce monde.

Comme un symbole donc si Kévin Lomax succombe à la tentation. Premièrement, il rappelle que l'homme a, en lui, la marque du péché originel ; deuxièmement, il nous interroge sur nos choix de carrière, sur nos attentes, nos ambitions, la conciliabilité entre vie professionnelle et vie personnelle ; troisièmement enfin, et c'est là le cœur du film, il nous apprend, à sa fin, que quel que soit le chemin que nous choisissons, le Diable, en embuscade, trouve toujours un moyen de nous tenter, et de nous murmurer : "Vous serez comme des dieux." C'est ainsi que l'on peut rattacher ce merveilleux film de Taylor Hackford au roman de Colette Yver. Tout comme Isabelle Sernanska, Kévin Lomax s'est pris au jeu de l'ambition, de l'admiration, et plus il prenait de l'ampleur, plus la matérialité le gagnait, et plus son orgueil s'épaississait, oubliant sa condition humaine, sa faible posture humaine qui fait de lui un pécheur dès lors qu'il vit selon ses règles, dénuées de verticalité. Dès lors qu'il vit comme un homme-dieu.

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