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Vous serez comme des dieux, de Colette Yver

Quel beau titre ! Avec un titre pareil, on sait déjà à quoi s'en tenir, ou, au moins, on peut deviner ce qui nous attend. Justement, que nous dit Vous serez comme des dieux, de Colette Yver ?

LITTÉRATURE

6/21/20246 min read

Main mécanique touche une main humaine pour créer une étincelle
Main mécanique touche une main humaine pour créer une étincelle

Vous serez comme des dieux !

Titre merveilleux avons-nous dit, mais titre ô combien actuel (on vous renvoie à cet article sur L'homme et la machine, de Nicolas Berdiaev) dans cette époque technophile, scientiste et matérialiste, où chacune de nos pensées semble se poser sur une convoitise terrienne, pour consommer et uniquement consommer, si bien qu'à terme on ne profite même plus de cette consommation outrancière, car notre seuil de tolérance atteint, voire dépassé, et la dopamine ne faisant même plus effet, tout devient plat : nos achats antérieurs, autrefois si jouissifs, ne sont aujourd'hui que routiniers. "Mouais, beau jean, mais dans une semaine j'en prendrai un autre, plus délavé et tendance." Notre vision se grise, nos attentes, continues, nous poussent constamment à la comparaison, qui, elle, nous pousse constamment dans les achats compulsifs, et qui, eux, nous poussent constamment au mensonge en vivant, ou plutôt en faisant croire, via nos réseaux, que nous vivons une vie épanouie, férocement joyeuse et incomparable. Et tout cela, veste, chaussure, ceinture, bague, parfum, nous ne nous les achetons pas uniquement à cause des injonctions publicitaires, mais surtout à cause du narcissisme qui est en nous, et grâce auquel, par nos achats compulsifs, on est pris en haute estime par des gens qui, désirant les mêmes choses, mais ne profitant pas, hélas pour eux, du même pouvoir d'achat, nous considèrent comme des référents. Nous quêtons l'admiration de la plèbe, ou, à défaut, une légitimité, une considération qui fera de nous des êtres à part entière dans une marée humaine de plus en plus identique, de plus en plus dantesque, de plus en plus orgueilleuse. Pourquoi orgueilleuse ? Oh ! mais c'est là un sujet bien trop vaste pour être traité en un seul article, mais, si l'on devait retenir un point, un point seulement, alors il est indéniable que la perte de notre lien vertical a favorisé cet orgueil, car l'homme, déchu, détestant le vide, remplace maintenant son adoration divine par une adoration terrestre, ce qui renvoie à une horizontalité, où chacun rêve d'un positionnement social plus réjouissant, ainsi que des adorateurs pour nous starifier, voire nous diviniser. Nous diviniser comme des dieux.

Colette Yver, une romancière française du XIXe et XXe siècle

Parfois, vous avez sans doute connu cela, il y a des livres qui nous dépassent ; d'autres dont on entend parler, et que l'on nous conseille, et que l'on se promet de lire, un jour, un jour lointain ; d'autres qui nous interpellent et que l'on oublie, car peu connus, car atypiques, car étrangers, car le nom de l'auteur est compliqué à prononcer ; d'autres encore, que l'on se jure de lire dans la semaine, le mois, ou, selon notre rythme, l'année ; et d'autres enfin, que l'on découvre par hasard, parce que l'on se laisse tenter par le titre, par l'incipit, par le feuilletage, et qui, durant notre lecture, se présente plus longuement, et, touchant des cordes sensibles, traitant d'une thématique pour laquelle on est sensible, se révèle à nous.

Tel est le cas pour Vous serez comme des dieux, de Colette Yver, acheté chez un bouquiniste pour une modique somme. Ecrivaine française et catholique, engagée politiquement, et que l'on pourrait qualifier, aujourd'hui et de manière réductrice, d'antiféministe, elle usait de ses romans pour montrer l'absurdité de l'orgueil humain, dénoncer sa stupidité, sa dangerosité, son universalité dans ses penchants surtout. Tel est le pitch, par exemple, dudit roman, Vous serez comme des dieux : une jeune romancière, Isabelle Sernanska, est présentée à un cénacle de littérateurs par l'intermédiaire de Blaise Carlavan, un jeune fonctionnaire qui, l'aimant secrètement, et voulant son bonheur, l'amène ici, parmi les Paul Clergeon, Guépa et, entre autres, Florentin Zacharie, pour que ces derniers lisent son manuscrit, la publient, et l'accueillent parmi les lettrés de la capitale. Où est l'intrigue, me direz-vous ? Elle tient, là, dans cette ambition littéraire : Isabelle Sernanska en effet, sera par la suite tiraillée entre son rêve d'être publiée, et son amour pour Carlavan. Problème, elle se rend vite compte qu'il y a un gros hic : ses sentiments pour lui ne sont pas à la hauteur de ses sentiments à l'égard de la littérature. Que fait-elle, donc ? Eh bien c'est là le roman. Choisit-elle la voie du coeur, du bonheur simple, de la vie amoureuse, familiale et pieuse ? ou bien choisit-elle la voie de la raison, de la gloire, des panégyriques journalistiques, des petites amitiés et du carnet d'adresses qui garantissent une visibilité hors-norme dans le paysage médiatico-parisien ?

Mais le roman serait là trop linéaire et ennuyeux s'il ne se contentait que de cette trame. En parallèle, et en lien avec le sujet du roman, Colette Yver met en scène plusieurs personnages secondaires, en l'occurrence Paul Clergeon et Florentin Zacharie, qui, tous deux littérateurs, cherchent eux aussi une notoriété à toute épreuve : l'un est plébiscité des journaux, l'autre, déçu de son traitement, injuste selon lui, se métamorphose en un démagogue vénéré de la foule. Puis il y a aussi l'abbé Parochin, lequel ouvre le roman et s'inquiète de cette montée de gloriole qui sent en lui, et qui le ronge, et qui l'angoisse, et qui le tiraille à mesure qu'il conscientise le pouvoir de ses prédications sur les croyants. Est-il un apprenti dieu ? Pourquoi prêcherait-il la bonne parole, cette de son Seigneur, alors que la sienne, de bonne parole, semble convenir aux fidèles ? Il dira, dès les premières pages du roman : "L'ami Guépa [...] a prononcé tout à l'heure un mot excellent : le pêché initial. En effet, l'orgueil fut le péché des anges. Ou la révolte des anges est un conte à dormir debout et ne signifie rien, ou le sentiment qui gonfle un être de soi, lui cache ses limites, abolit la science de ses rapports vrais avec les autres êtres, l'orgueil enfin, qui se nourrit de lui-même, est une crime redoutable. C'est vraiment le premier péché. Ce fut le duel abominable de l'ange et de Dieu." Puis il continue, en se montrant plus incisif encore : "On se moque du chétif qui ne se sait pas chétif et veut s'égaler à son dominateur. L'orgueil est une estime immodérée de soi-même qui fait qu'on se préfère aux autres, vous comprenez, à tous les autres, même à plus grand que soi, même à meilleur que soi. Lui seul compte. Il s'isole. Il détruit l'équilibre qui maintient la balance entre l'individu et la collectivité. [...] Bossuet l'a dit :"L'orgueil divise parce qu'il rapporte tout à soi."

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L'homme peut-il être un dieu ?

Là encore, c'est une grande, une très grande question, mais ô combien fascinante. Pour Colette Yver, il ne fait aucun doute que l'homme n'est pas fait pour l'être, car un Dieu ne se nourrit pas d'orgueil, car un Dieu ne veut pas d'argent, de démagogie, de facilité en tout genre, de compromission et de manipulation, car c'est là, tout ce que l'on vient d'énumérer, l'œuvre du Malin, le Prince de la Terre, celui qui est obligé de séduire pour avoir des croyants, et qui, en ce quart du XXIe siècle, n'est même plus obligé de fournir le moindre effort dans ses séductions tant le monde parait lui être destiné, tant tout, autour de nous, et, plus terrifiant encore, en nous, parait lui appartenir. Dans Vous serez comme des dieux, le postulat est très clair : même si l'orgueil semble élever son porteur, même s'il semble enivrant, bénéfique, il y a toujours un moment où l'on paie les pots cassés, où la réalité nous rattrape, où la tranquillité nous échappe pour ne céder place qu'aux conséquences de cet orgueil, autrement dit la superficialité et l'hypocrisie.

Belle découverte donc que ce roman de Colette Yver. Même s'il n'est pas transcendant, il offre une intrigue bien menée et des personnages, loin d'être inhabités, bien écrits et dont les monologues sont plaisants à suivre. Vous serez comme des dieux nous fait étrangement penser à un film dans lequel un avocat débutant s'associe à un ténor afin de mener une belle carrière, richissime et glorieuse, quitte à sacrifier son amour et son bonheur personnel.

Enfin, nous terminons sur ces mots, de l'abbé Parochin : "L'homme, en dernière analyse, est une conscience, rien de plus. Si l'on veut juger la valeur d'un homme, la comparer, c'est de sa conscience qu'il faut prendre la mesure. L'homme est un discernement..." Et mieux que n'être qu'un discernement, nous rappellerons, à ceux qui se prennent pour des dieux, qu'un dieu est immortel.

La création d'Adam, par Michel-Ange
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