Princesses de science, de Colette Yver
Trouvé dans une boite à livres, Princesses de science est le second roman chroniqué de la romancière française. Quel est, cette fois, le message de Colette Yver ?
LITTÉRATURE
6/28/20245 min read


Princesses de science, un roman sur les femmes médecins
Pour être plus précis, ce n'est pas un roman spécifiquement sur les femmes médecins ; disons plutôt, à l'instar de Docteur Quinn, que l'univers est autour de la médecine, mais qu'autour de cela se trouve une histoire d'amour entre Guéméné et Thérèse, où l'intrigue principale est d'explorer comment la femme, à l'aube du féminisme et de son indépendance, privilégie ou son bonheur personnel, ou sa carrière, ou son couple, sa vie de famille. Par extension le roman développe plusieurs pistes en la personne de la doctoresse Lancelevée, froide, distante, rugueuse, qui favorise sa dévotion à ses patients, vivant seule ; la jeune étudiante russe Dina, qui, vivant dans la pauvreté, poursuit ses études silencieusement, tantôt à l'hôpital, tantôt chez elle, déjeunant dans un restaurant abordable ; enfin la veuve Madame Jourdaux qui, élevant son enfant, le petit André, tourne autour de Guéméné, le mari de Thérèse.
Un roman sur les destinées féminines
Le roman s'ouvre d'entrée sur un débat féministe, l'occasion, pour Colette Yver, de traiter l'un de ses thèmes favoris, en l'occurrence les relations homme-femme, et, par extension, la place de la femme dans la société, et spécifiquement son rôle au sein du couple, auprès de son mari, dans son foyer avec ses enfants. Elle écrit : "Une vraie femme ? Mais je le suis, je pense, et intégralement, puisque j'ai conquis toute l'intellectualité possible ! La demi-femme est celle dont le cerveau reste atrophié. Et vous voudriez que je me rapetisse à cet état ?" Thérèse défend là une femme forte, indépendante, entretenu par ses propres moyens et qui voit en la femme recluse, enfermée chez elle, une demi-femme, peu instruite et donc peu libre. Guéméné, son futur mari, lui rétorque :"Eh bien ! je suis un homme, je cherche ma compagne, pour faire ma vie avec elle, parce que c'est la loi, parce qu'il me faut un foyer, et une gardienne à ce foyer. Je veux bien trimer tout le jour, courir de maison en maison, ausculter des cœurs, faire cracher de vieux asthmatiques, délivrer des femmes, palper des nouveau-nés, constater des décès, mais à condition que cette partie assommante de la vie, qu'on appelle le métier, une fois accomplie, je trouve ma maison douce et une amie qui m'y attende." Cette amie, bien sûr, c'est Thérèse, celle qui, justement, est aux antipodes des volontés de Guéméné, puisqu'elle, ce qu'elle souhaite, c'est être libre, reconnue dans son domaine, la médecine, et ainsi se constituer une clientèle, être recherchée de ses patients, et ne dépendre que de ses moyens, que de son travail, que de sa liberté. Tout le contraire de ce à quoi aspire Guéméné, qui lui demande sa main : "Cette amie, - je suis peut-être égoïste, mais je suis un homme et un homme normal, - je la veux pour moi seul. Je ne partagerai pas ma femme avec tout le monde... Ha ! ha ! ha ! le marie de la doctoresse, ce serait charmant !"
Ainsi s'ouvre et continue le roman Princesses de science, de Colette Yver. A la lecture de ces extraits, tantôt pour, tantôt contre le féminisme, nous devons admettre que certains feront grincer des dents, car depuis, un siècle s'est écoulé, les femmes se sont indépendantisées, pourvoient dorénavant à leurs propres fins, et, depuis un siècle, les valeurs familiales, sans pour autant défendre l'idée d'une femme soumise, se sont peu à peu effritées, pour ne pas dire effacées, car de nos jours ce qui compte, c'est notre réussite personnelle, notre salaire, notre pitance, nos vêtements, notre voiture, notre maison ou notre appartement, reléguant la vie de couple soit dans le grenier, soit à une pauvre et triste relation sinon pansement, du moins superfétatoire. Colette Yver, loin d'être contre cette indépendance des femmes, prétend qu'elles doivent en tout cas s'y résigner dès lors que l'amour frappe leurs cœurs : "Certes, je trouve malséant que les hommes refusent encore à celles dont ils n'ont pas voulu devenir les maris le droit d'excercer des professions où elles peuvent vivre indépendantes au même titre qu'eux ; mais, si d'aventure ils les épousent, que tout rentre dans l'ordre, et que l'homme, se faisant le soutien du ménage, comme il est juste, la femme s'abandonne tout entière à sa fonction souveraine, qui est de vivre pour son mari, pour ses enfants." Colette Yver, catholique, défend ici une société traditionnelle, un mari, une épouse, un foyer, des enfants, une famille selon les exigences de la Loi, et non les exigences capitalistes ; mais Colette Yver, de son temps, ne présageait certainement pas qu'en 2024 ce mode de vie, à part si le mari est richissime, ne tient plus du tout, car de nos jours, le coût de la vie augmentant, le féminisme ayant infusé bon nombre d'esprits, le matérialisme ayant corrompu bon nombre d'âmes, et l'athéisme ayant gagné bon nombre de croyances, rares sont désormais les couples à s'adonner à ce genre de vie. C'est un changement de société, que l'on accepte ou non. Notre rôle, ici, n'est pas de nous prononcer pour un camp ou un autre, même si, d'un côté comme de l'autre, nous entendons, comprenons les arguments de chacun, et croyons, aussi bien pour l'homme que la femme, que le travail n'est pas l'essence de l'existence, qu'il y a des valeurs - dont la famille - plus transcendantes, mais dans un monde désormais régi par l'argent et la nécessité, par l'incroyance et la monotonie, l'amour, la famille, la transcendance, la transmission sont hélas des notions dédaignées par le commun des mortels.
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Princesses de science, un roman dépassé ?
Non, au contraire, malgré quelques passages, il est vrai, datés, Princesses de science est un roman encore d'actualité dans l'ensemble de son message. Montrant plusieurs destinées féminines, Colette Yver essaie de démontrer quelles sont les débouchées les plus avantageuses pour la femme en fonction de ses besoins ; et même si, c'est vrai, elle a son parti pris, elle se montre en tout cas juste et objective lorsqu'il faut dépeindre, en la doctoresse Lancelevée, une femme ambitieuse, rigide, solitaire ; lorsque Dina, la petite russe, transmutant sa passion amoureuse, lors de ses jeunes années, dans les études, fleurit enfin auprès de Pautel, arrosé par son amour ; lorsque Madame Jourdaux, la veuve, se passionne pour Guéméné, ne franchissant cependant aucune limite condamnable, elle trop respectueuse du couple qui forme avec Thérèse, qui, justement, tiraillée tout le roman entre sa passion et sa profession, doit à la fin se décider, et choisir entre cette passion, et cette profession. Par cette intrigue principale, on reconnait là certaines ficelles du roman de Colette Yver, Vous serez comme des dieux. Et quand bien même Princesses de science n'a pas un fond religieux, il a en tout cas un fond moral que certains jugeront moralisant, peut-être, mais qui a en tout cas le mérite de s'engager, et d'apporter des éléments de réponse à un sujet qui, encore aujourd'hui, et sans doute encore longtemps, enflamme les débats.

